BANLIEUES FRANÇAISES, CHRONOLOGIE DE 40 ANS D’ECHEC
L'enchaînement des événements qui sont expliqués dans ces pages ne sont pas le fruit de notre imagination mais le reflet exact et sincère d’une vérité terrible qu’il est souhaitable de se remémorer pour comprendre l’enchainement irrémédiable et implacable d’une dérive totale des banlieues. L’impuissance, la lâcheté, l’inconscience ou la cécité des gouvernements se déroulent au fil de la lecture. Tous ces faits sont facilement vérifiables ; de multiples sites dédiés à la politique de la ville déroulent cet historique chronologique. Pathétique.
Par Michèle Morel
PREMIERE ETAPE : Une réalité accablante
De 1973 à 1987
1973
Le Secrétariat à la Jeunesse se pose des questions.Une circulaire du Ministre de l’Equipement, Olivier Guichard, met fin à la construction de grands ensembles. Une équipe de hauts fonctionnaires de l’action sociale décide « d’étudier » les moyens d’améliorer les relations sociales dans les grands ensembles collectifs. Ce groupe s’appelle :Habitat et Vie Sociale (HVS). Le résultat les étonne.
1976
Le dernier bidonville est détruit à Nice. Les cités de transit (censées être provisoires) vont succéder aux bidonvilles. Il est décidé la création d’un Comité d’études sur la violence, la criminalité et la délinquance (CEVCD) au Ministère de la Justice. Trois mois plus tard, création du Fonds d’Aménagement Urbain (FAU), destiné à financer l’aménagement des centres-villes et de leurs quartiers.
1977
On parle déjà de réhabilitation des cités HLM sur 53 sites. Le premier Plan Banlieue est mis en place 50 opérations sont prévues d’ici 1981. A. Peyrefitte reçoit un rapport intitulé « réponses à la violence», il annonce le redéploiement des forces de police et de gendarmerie dans les zones concernées.
1979
Premières émeutes urbaines dans le quartier de la Grappinière à Vaulx en Velin = incendies de voitures, affrontement avec la police qui dureront jusqu’en 1980. Le quartier Olivier de Serres à Villeurbanne se distingue jusqu’à se faire une réputation à l’échelle nationale! Charles Hernu, maire de la ville, décide alors de « raser » ce « vivier à délinquance » (on sait ce qu’il en est en 2013 de ce quartier dont il faut, A NOUVEAU, raser les villas existantes dont les prêts sont encore à payer ! !).
1980
Un gardien d’immeuble de Vitry s/Seine tue Abdelkhader Lareiche—Importante mobilisation des jeunes immigrés = création du Collectif Mohamed. Paris panique et crée en vitesse un Groupe interministériel pour l’aménagement des banlieues (GIAB).
1981
Violentes émeutes dans le Rhône : d’abord aux Minguettes à Vénissieux, puis à Villeurbanne et à Vaulx-en-Velin. De juillet à septembre, c’est l’enfer. Solution de nos élites : les articles de la loi de 1901 interdisant aux étrangers de créer des associations sont supprimés (…).
Mais le gouvernement « planche » ! Alors ils créent une Commission Nationale pour le développement social des quartiers » (CNDSQ) pour, disent-ils, « lutter contre la ghettoïsation des quartiers défavorisés ». 20 sites en France sont alors classés « îlots sensibles ». Puis le gouvernement, qui planche toujours, crée des « zones d’éducation prioritaire » (ZEP) pour enrayer l’échec scolaire. Les missions pour l’emploi des jeunes sont crées = public concerné : 16 à 25 ans sortis de leur formation initiale sans qualification.
1982
Création de la « Commission des Maires sur la sécurité » (CMS). En même temps, G. Deferre, ministre de l’Intérieur, promulgue la loi sur les droits et libertés des collectivités. Et puis, lancement de l’Opération Prévention Été (OPE) du ministère de la jeunesse en réponse aux « incidents » de l’été 1981.
En fin d’année, présentation au 1er ministre, par le président de CMS (commission des Maires sur la Sécurité), G. Bonnemaison , maire de Grenoble « face à la délinquance : prévention, répression, solidarité ».
1983
Rapport du président de la CNDSQ « Ensemble, refaire la ville » donc = création du Conseil National de Prévention de la Délinquance (CNPD) et visite de F. Mitterand à la Cité des 4000 à la Courneuve
(93) après le meurtre d’un enfant. Lancement de la « Mission Banlieue 89 » = projet de réhabilitation pour « réintroduire l’esthétique dans les quartiers».
Pendant ce temps, les beurs organisent une marche « pour l’égalité et contre le racisme », dite « Marche des Beurs ». Le CNPD publie une liste de 18 villes volontaires pour des actions pilotes en matière de police, de justice et d’action sociale.
1984
Les premiers contrats de plan état-région qui intègrent le développement social des quartiers = 148 conventions DSQ sont inscrites concernant 170 quartiers.
Création du Comité interministériel pour les Villes (CIV) et du Fonds de Solidarité Urbaine (FSU) = l’état décide l’amélioration du cadre de vie urbain et transfert, au profit des collectivités territoriales, certaines compétences avec les ressources financières qui s’y rattachent ! DEMISSION DE L’ETAT.
1985 à 1987
Création des « Contrat d’action de prévention pour la sécurité dans la ville » (CAPS), là où existent des Conseils de Prévention de la Délinquance - Les crédits attribués à « Banlieues 89 » sont supprimés (constat d’échec). La CNDSQ est maintenant rattachée au Ministère de l’équipement devant l’ampleur du phénomène.
Les Projets Urbains de grande ampleur voient le jour.
Les fondements de la « politique de la ville » : SECONDE ETAPE
De 1988 à 1997
1988
Création de « l’îlotage dans les quartiers » par P. Joxe, ministre de l’Intérieur. Un délégué interministériel à la ville estnommé par M. Rocard.
Ensuite, création d’un Conseil National des villes (CNV), d’un Comité interministériel des villes et du développement social urbain (CIV) et d’une Délégation interministérielle à la ville et au développement social urbain (DIV). Instauration du RMI.
400 QUARTIERS SONT AINSI RECENSES.
1989
X° plan gouvernemental (déjà !) 400 conventions DSQ sont signées. Lancement du « Programme Développement Solidarité » (PDS). La politique de la ville prend son ampleur en définissant notamment le principe de « Développement Social Urbain » (DS).
Alors, création de « l’Institut des hautes études de la sécurité intérieure (IHESI) - et puis, création du « Haut Conseil à l’Intégration » (HCI).
1990
Violentes émeutes à Vaulx-en-Velin après la mort d’un jeune dans un accident de moto, près d’un barrage de police. F. Mitterrand assiste à Bron aux 3° Assises Nationales Banlieues 89. Il promet
de « changer la ville en cinq ans ».—Création du premier Ministère de la Ville, confié à Michel Delebarre.
1991
Nomination de 13 sous-préfets, chargés de mission pour la politique de la ville. Emeutes dans la cité des Indes à Sartrouville (78) après la mort de Djamel Chettouh abattu par un agent de surveillance.
Création d’un « Comité d’évaluation de la politique de la ville » - Violents incidents au Val-Fourré, à Mantes-la-Jolie (78) = création de la section violences urbaines aux Renseignements Généraux (RG) - Création de l’opération « Quartiers Lumières » et vote de la Loi d’Orientation pour la Ville (LOV) dite aussi « loi anti-ghettos ».
L’armée entre en scène
Les premiers Grands Projets Urbains (GPU) voient le jour sur la banlieue parisienne mais aussi à Vénissieux, Marseille, Roubaix, Tourcoing. Création du service national ville « SNV » = les appelés du contingent seront affectés dans les quartiers jugés sensibles.
1996
Alain Juppé , premier ministre, crée le pacte de relance pour la ville, axé sur le développement économique et l’emploi—création des « emplois de ville » pour les jeunes des quartiers de 18 à 25 ans (ils
sont remplacés l’année suivante par les emplois jeunes).
Instauration de 30 zones franches - La loi sur la mise en œuvre du pacte de relance pour la ville recense 750 zones urbaines sensibles (ZUS) - création, en même temps, des zones franches urbaines « SFU » afin d’attirer les entreprises dans certains quartiers en difficulté grâce à des exonérations fiscales et sociales.
4000 policiers supplémentaires sont affectés à ces quartiers par la création « d’unités à caractère éducatif renforcé ». Mais très vite, ce sont 7000 à 10 000 policiers du contingent service ville qui sont affectés à leur tour.
1997
JP Chevènement, ministre de l’Intérieur, annonce la création d’une « police de proximité », puis la
création des « Contrats Locaux de Sécurité » (CLS) destinés à renforcer le dispositif préventif et répressif dans ces quartiers.
Réponse de la rue =
Violents affrontements entre jeunes et CRS à Dammarie-lès-Lys (seine & marne).
Incidents à Lyon dans le quartier de la Duchère,
Emeutes dans les cités de Strasbourg pour la St Sylvestre—50 voitures sont incendiées.
Constats d’échec & Surenchère : TROISIÈME ETAPE
« refaire la ville …..»
Depuis 1998
Émeutes à Vitry-sur-Seine (val de marne) - création de la circulaire « Education-Ville ».
Accélération du programme de démolition de tours et de barres
Objectif = 30 000 logements HLM par an
dans les années à venir
J. Chirac parle de « ghettos urbains »
Les Assises nationales des ZEP à Rouen ne communiquent aucune info sur la réalité de la situation
2002
Incidents à la Cité des Musiciens aux Muraux (Yvelines) - création du Comité national d’évaluation de la politique de la ville et promulgation de la loi de modernisation sociale. Puis, création de la circulaire modifiant les exonérations de charges fiscales et sociales des entreprises installées en zones franches urbaines (SFU).
Nouvelle loi sur la démocratie de proximité - Opération « Talents des cités » (40 créateurs d’entreprises et d’associations issus des quartiers difficiles se voient attribuer une bourse de 5000€ - La Cour des Comptes sur la politique de la ville publie son rapport = explosif !
Après les émeutes entre jeunes et forces de l’ordre à Evreux (Eure), mise en ligne du système
d’information géographique (SIG) du ministère de la ville.
2003
On est maintenant arrivé à 41 nouvelles zones franches urbaines (SFU) - alors, des nouvelles lois :
Loi pour la Sécurité Intérieure (LSI), Loi sur l’urbanisme et l’habitat, Loi d’orientation et de programmation pour la ville et la rénovation urbaine, dite loi Borloo pour la « lutte contre les inégalités sociales et territoriales » - Lancement du « Programme national de rénovation urbaine (PNRU) et de l’Agence nationale de rénovation urbaine (ANRU) et aussi installation
de l’Observatoire national de la délinquance (OND), parce qu’à ce stade, il convient d’observer…
On parle maintenant de 150 à 200 000 démolitions
de logements « vétustes »
2004
324 voitures sont incendiées dans différentes villes de France au cours de la nuit du Jour de
l’An (chiffre communiqué),
Violents affrontements entre jeunes et CRS dans le quartier de Neuhof à Strasbourg
Émeutes dans la cité de Hautepierre.
Mr Borloo présente son « plan de cohésion sociale » au gouvernement - L’Institut National des hautes études de sécurité (INHES) remplace l’Institut des hautes études de la sécurité intérieure (IHESI) - Installation de l’Observatoire national des zones urbaines sensibles (SUS) au sein de la Délégation interministérielle à la ville (DIV).
2005
Loi relative à la programmation pour la cohésion sociale - N. Sarkozy promet de « nettoyer au Kärcher » le quartier de la Cité des 4000 à la Courneuve, suite à la mort d’un jeune suite à une rixe entre bandes rivales.
N. Sarkozy, pris à partie par des jeunes, les traite à son tour de « racaille » et de « gangrène ». Des émeutes éclatent à Clichy-sous-Bois après l’électrocution, dans un transformateur EDF, de trois jeunes gens qui tentaient de fuir la police. Il s’agira, à ce moment là de « renforcer l’égalité des chances ».
Aggravation des violences à Clichy-sous-Bois - Les incendies de voitures et les affrontements avec les forces de l’ordre ne dsemparent pas. L’état d’urgence est proclamé le 8 novembre et restera en vigueur jusqu’en janvier 2006.
2006
Le CIV propose la création de 15 nouvelles zones franches urbaines portant ainsi leur nombre total à 100 et des contrats urbains de cohésion sociale (CUCS) qui prennent la suite des contrats de ville, dès l’année suivante. Loi sur l’égalité des chances - définition de la Géographie prioritaire des Contrats Urbains de Cohésion Sociale = calendrier de mise en œuvre.
L’accélération du programme de rénovations urbainesprolongé jusqu’en 2013, est annoncée….
Les années qui nous rapprochent de 2013-2014 ne font que multiplier des programmes d’intervention
de toutes sortes. Rappelons que 19 ministres de la ville se sont succédé en 17 ans, tous bords politiques confondus ; pour quels résultats ? Il faut également dire quele comité interministériel des
villes (« l’organe » en charge de la politique de la ville et présidé par le premier ministre) ne s’est jamais réuni entre 2002 et 2006 - il aura fallu les émeutes de 2006 pour réveiller tout le monde !
La complexité inouïe des financements multiples, croisés de cette politique avait fait dire à Fadela Amara, secrétaire d’Etat : « il faut être bac + 10 pour tout comprendre et on ne capte rien aux sigles ». Il est par ailleurs impossible d’établir le montant des crédits affectés. En 2002, la presse (les Echos - 29/01/2002) annonçait déjà le chiffre de 40 milliards d’euros d’argent public consacré en quatorze ans aux quartiers en difficulté ; même la Cour des Comptes n’est pas en mesure de chiffrer avec exactitude.
Depuis cette époque, la situation s’étant encore fortement dégradée, à quel montant faut-il chiffrer ce gouffre colossal ?
Rédaction : Michèle Morel
Sources : le monde diplomatique « manière de voir » oct 2006 - le Monde, 26/02/2002 - Les Echos, janv. 2002
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